01-12-2024
Je participe à la vie d’un groupe facebook, Haïku du jour, qui est pour moi l’occasion de lire, d’apprendre, de participer et d’offrir. Je suis un haïjin depuis la fin du siècle passé. Cela ne me rajeunit pas... mais ça commence à faire classe, non ? En fait c'est en 1999... que j'ai découvert dans un atelier d'écriture cette ressource d'expression. Depuis j'en ai produit plusieurs centaines et je découvre seulement que souvent j'ai du être en dehors des clous par rapport aux exigence de ce groupe mais à peu près dans ceux de l'Association francophone de haïku...
Un jour, sur la base de la photo qui suit j'ai composé ce haïsha, haïku fondé sur une image.
horizon pentu
le chat roux rêve qu'il roule
le chat blanc qu'il neige
Cette belle image est protégée. Photographie de Jean-Louis Chartrain.
Le haïsha est un haïku fondé sur une image non pour la décrire mais pour en tirer une imagination, c’est comme une lecture intime qui étend l’image dans une dimension moins prosaïque qu’elle ne l’est ; et il en tire une quintessence.
L’image ci-dessus ne me parlait que sous l’angle d’un centrage forçant le regard et surtout par son horizon penché. Moi aussi, j’ai du mal à la prise de vue à voir les verticales… et donc les horizontales ; au post-traitement ce "détail" me saute aux yeux : trop tard !!! aussi, nombreuses sont les photos que je présente qui sont redressées (pour les bawis, en général je m’affiche les niveaux). Ici, les ombres longues, la lumière dorée, ce pin esseulé qui me crevait les yeux qui semblait protéger celui coincé à l’extrême droite, sa forme trahissant le vent, tout cela était troublé par l’horizon glissant vers la droite ! C’est ahurissant mais c’est comme ça…
Il se trouve que le modérateur du groupe, aussi photographe et haïjin productif, a apprécié ma proposition tout en y soulevant des défauts protocolaires, tout comme moi, finalement, j’avais insisté sur un défaut de prise de vue…
Je n’ai pas mal pris le commentaire mais j’ai voulu jouer le jeu : accepter et creuser le commentaire ciblant mes 17 syllabes sur 3 lignes en me parlant du trop grand nombre de verbes qui saturent l'espace d'interprétation
Pour moi, la question n'était pas là, je suis désolé... alors j'entre en discussion : "Vous sentez-vous bercé entre les deux chats ?" c'est ça l'important, non ?
Dans une forme poétique, quelle que soit l'étiquette qu'on lui prête, c'est l'effet que ça fait qui compte.
En fait je respecte les règles que vous citez car hormis leur nombre, les verbes rêver, rouler et neiger cohabitent dans l'image active qu'ils créent : comment pourraient-ils se faire du tort ?
Si vous voulez je veux bien « expliquer », c’est-à-dire ouvrir, décortiquer mon poème pour montrer que ces verbes sont au cœur de l’image, d’une image vivante.
Donc, l'"horizon pentu" entame le poème avec une "source de réflexion"... L’allitération en R du second vers rajoute du roulis à l'image en élargissant "l'espace d'interprétation" qui se conclut dans la douceur onirique du 3e vers. Celui-ci fait appel à l'action du chat sans insister comme a pu le faire le R précédemment. Le chat blanc glisse, c'est non écrit mais suggéré par la neige qu'on voit tomber (ce qui en outre place une saison dans le haïku).
Elle commençait à devenir longue… cette exégèse ; et comme en moi il y avait un peu de bouillonnement elle s’abreuvait encore avec le texte ci-dessous !
Voilà, j’avoue tout ci-dessous
[...][Source Cyrano de Bergerac, Acte II, chez Ragueneau]
De guiche :
— Portez-les-lui.
Cyrano, tenté et un peu charmé :
— Vraiment…
De guiche :
— Il est des plus experts.
Il vous corrigera seulement quelques vers…
Cyrano, dont le visage s’est immédiatement rembruni :
&mdash Impossible, Monsieur ; mon sang se coagule
En pensant qu’on y peut changer une virgule.
De guiche :
&mdash Mais quand un vers lui plaît, en revanche, mon cher,
Il le paye très cher.
Cyrano :
— Il le paye moins cher
Que moi, lorsque j’ai fait un vers, et que je l’aime,
Je me le paye, en me le chantant à moi-même !
C’est peut-être prétentieux, ou fier, comme va le suggérer De Guiche juste après, jugement que Cyrano va immédiatement valider, mais c’est ainsi, peut-être pas de la fierté mais de l'entièreté ! Et de fait je suis un peu…, comment dire, " emmerdeur " car lorsque je fais un vers et qu’il me satisfait… comme Cyrano, je me le chante à moi-même.
J'ai longuement hésité à décarcasser mon poème en tant qu'auteur puisque j'ai entendu ces vers et j'ai trouvé leur composition honnête vis à vis du groupe. Devais-je "m'en expliquer" davantage ? Finalement après l'analyse de texte tout se tient, au moins à mon point de vue par rapport à l'image et aux règles du haïsha.
Il est aussi bon, je pense, de dire qu'outre le fait que je sois un homme d'action, j'ai du mal avec la contrainte des règles plus ou moins arbitraires qui pour moi tuent le vivant. Le verbe « devoir », par exemple, doit (!…) avoir de bonnes raisons s’il veut résonner juste à mes oreilles car il m’impose toujours d’observer en finesse l’objet sur lequel il porte là où « falloir » au conditionnel serait plus chaleureux et donc agréable. Devoir est trop sec, trop incisif, trop criard (pour moi…), insuffisamment pédagogique.
Finissons avec Schiller dans Les brigands :
"Quoi ! emprisonner mon corps dans un corset et soumettre ma volonté à l'étreinte de la loi ? Jamais ! La loi ? Elle réduit à la lenteur de la limace l'essor de l'aigle ! La loi ? A-t-elle jamais fait un grand homme ? La vraie mère des colosses et des prodiges, c'est la liberté !"
Là j’ai décidé que j’en faisais trop contre ce généreux modérateur qui prend à cœur d’aider les haïjins débutants dans leur désir de perfection.
J'ai pris cette
liberté dont parle Schiller en supprimant ma réponse public, et en
répondant un peu ironquement je l’avoue (ce qui me dérange mais affiche une certaine courtoisie reconnaissante).
Je l’ai prise aussi en travaillant à peine l’image que voici quelque peu transformée où l’arbre seul et méditatif semble admirer la mer le front auréolé et le cœur à nu ; on peut aussi le voir fuir un jour passé de colère, voir les tons dorés créant l’espoir de projets ou rêves à venir, etc.. autant de choses que je n'arrivais pas à voir dans l'image d'origine
J'ai fait un message au modérateur qui m'a informé en retour que l'image était simplement celle du groupe atelier... et que donc il n'avait pas établi de rapport avec en commentant mon haïku(sha...). Il a ajouté que je pouvais supprimer tout ce long discours de mon blog. Bof... Oui ? Non ?
Bon ok je maintiens et je rigole de moi intérieurement, ça fait du bien et ça réchauffe dans les temps maussades qui courent sur la planète.